Le monde compte pas moins d’un million de révolutions tranquilles
11 décembre 2012
C’est avec un doux mélange de modestie et d’enthousiasme qu’elle se défend d’avoir réalisé une encyclopédie mondiale des alternatives citoyennes. Pourtant, l’ouvrage de la journaliste Bénédicte Manier (Un million de révolutions tranquilles, paru aux éditions Les Liens qui Libèrent, 324 p.) offre un survol riche et passionnant des actions menées par les pionniers de la transition vers une société plus participative, solidaire et humaine.
Lutte contre la faim, habitats coopératifs, microbanques, ateliers de réparation citoyen, financement en autogestion d'emplois ou de fermes bio, échanges de biens, de services et de savoir, etc... tout y est ! Embarquement immédiat.
Une effervescence de terrain
Journaliste à l’Agence France Presse (AFP) depuis 1987, Bénédicte Manier s’est spécialisée au fil des ans sur les questions de développement et de pauvreté des populations. Dans ce livre, elle propose un voyage itinérant au pays des solutions citoyennes appropriées aux enjeux du siècle – de la réhabilitation du réseau des johads (bassins creusés dans la terre pour recueillir les eaux de ruissellement et recharger les nappes phréatiques) au Rajasthan en passant par les réseaux de coopératives de production en Amérique Latine, des exemples de relocalisation des modes de vie aux systèmes de santé citoyen qui existent aux Etats-Unis ou en Belgique.
"Ces révolutions, j’ai l’impression de les connaître depuis toujours, confie-telle. J’ai croisé des quantités de domaines liés au développement local et j’ai profité de mes déplacements personnels pour ne pas passer des vacances idiotes. Je suis donc allée voir sur place ce dont j’ai entendu parler".
L’auteur confirme ainsi son intuition : ces initiatives se multiplient partout à l’identique - ou presque - en dépit de leurs domaines d’application très variés (habitat, santé, consommation, etc.) et de leurs conditions de développement, dans les pays industrialisés ou émergents. "Certains de ces mouvements existent depuis trente ans, mais la crise accélère le développement des alternatives", note la journaliste pour qui les inspirations à l’origine de ces révolutions sont également les mêmes où que l'on soit. "Les citoyens répondent au même désir, et nous avons affaire à une effervescence de terrain qui concerne des millions de personnes dans le monde", explique l'auteur.
Pour elle, ces évolutions ne sont pas marginales : elles se développent au cœur des sociétés et les classes moyennes qui sont au cœur du changement. Et elles posent une question : qu’est-ce qui fait que les gens mettent en place des alternatives identiques sans se connaître ?
Le rôle du politique
Un élément de réponse se trouve peut être dans l'incapacité du monde politique à comprendre réellement la portée ces actions". Les citoyens ne sont pas contents du système dans lequel ils vivent et tracent eux-mêmes les voies du changement, à tel point que leurs dynamiques prennent de vitesse le politique et le secteur privé : "alors que la défense de l’intérêt collectif voudrait que le monde politique soit plus à l’écoute, le système actuel ne répond pas à ses aspirations", regrette Bénédicte Manier pour qui cela signe la fin d’une époque, comme elle me l’a confié dans la pastille sonore suivante:
Mais si ces initiatives citoyennes sont possibles, c'est aussi par l’existence d’une démocratie qui garantit la manière dont la société civile peut prendre les choses en main. "Je ne suis pas allée enquêter en Chine ou en Russie, mais je n’y ai pas repéré pour l’instant ce type de dynamique" souligne Bénédicte Manier.
D'ailleurs, ces révolutions ne se font pas contre le politique, mais bien plutôt en parallèle. "Les citoyens qui agissent le font parce qu’il faut le faire. Bien souvent, le pouvoir politique ne les soutient pas car ils croient d’avantage dans les grosses infrastructures de développement, les moyens simples ne sont plus dans leur imaginaire", estime-t-elle tout en soulignant qu'il est possible d'observer de la collaboration et de la bienveillance publique dans certains pays, comme au Brésil ou en Argentine. A Rosario par exemple, la municipalité a recensé les terrains et aménagé 60 hectares de terrains vacants pour y permettre le développement de 800 jardins communautaires qui nourrissent 40 000 habitants (sur les 1,2 millions que compte l'agglomération). Cela a relancé l’économie locale et prouve à quel point le soutien politique peut faire la différence.
Une "réappropriation" du monde
Au fil des pages, on mesure l'ampleur de la réappropriation du pouvoir citoyen. La journaliste explique: "pendant un temps, le citoyen s’est effacé devant le consommateur : on a tout fait pour lui, on lui a amené des supermarchés, du made in China, etc. jusqu’à ce qu’il se rende compte que ce type d’économies a des effets négatifs en terme d’emplois, qu’il engendre une perte de qualité, des crises sanitaires et autres excès".
Le temps est venu du changement par la proximité, le partage et le collaboratif : le succès des AMAP et autres initiatives relevant de la consommation collaborative ne montre-t-il pas qu’il est possible de retrouver une qualité et une transparence? Il est aisé d'agir sur notre environnement immédiat. Le changement concret permet de la réappropriation et l’entrée dans l’ère de la post-mondialisation où les sociétés changent peu à peu leurs valeurs.
Les jeunes entrepreneurs sociaux mènent aussi des projets enthousiasmants: ils ont envie de créer des circuits, des plateformes de distribution de produits bio, des coopératives d’énergie verte, des entreprises de service de proximité – avec une économie tournée vers les besoins des population. Et cette économie est aussi profitable que l’économie traditionnelle, à la différence que ce profit est mis au service d’une logique positive pour la société.
A bon entendeur...
Anne-Sophie Novel / @SoAnn sur twitter
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