02 avril 2013
A Lyon, les Gars-Pilleurs font leurs courses dans les poubelles
Faire les poubelles pour y trouver à manger, voilà qui n’est pas nouveau pour qui connaît le mouvement des freegans. Mais organiser des distributions gratuites de récupération alimentaire pour dénoncer le gaspillage de nourriture encore bonne à manger, voilà qui est plus nouveau. Focus sur un mode d’activisme et de sensibilisation lancé par le mouvement des Gars Pilleurs, à Lyon.
Récoltes urbaines
L'un fait de la récup' pendant les fins de marchés depuis un an et demi. L'autre se nourrit aussi depuis de nombreux mois avec les déchets de supermarchés et boulangeries. Tous deux ont pris pour habitude de chercher ensemble des aliments souillés, périmés et invendables. Mais ils récupèrent tellement de nourriture encore bonne à manger dans les poubelles des supermarchés situés dans les alentours de Lyon qu’ils ont décidé de redistribuer le fruit de leur récolte urbaine.
Leurs techniques, pour récupérer les aliments ? Commencer par les fins de marché ("le plus simple"), puis les boulangeries ("entrez par le digicode ou être tôt le matin avant les éboueurs") et enfin les supermarchés où les poubelles sont accessibles facilement.
"Nous récupérons les denrées et quelques heures après nous les redistribuons, et si la chaine du froid est coupée, ce n'est que quelques heures, ce qui n’endommage pas l'aliment", explique les deux gars pilleurs qui ne sont jamais tombés malades à manger ainsi. Et c’est d’ailleurs une question de bons sens : au nez, à la vue et avec quelques astuces on sait dans quel état d’avancement est le produit.
Lors des redistributions qu’ils organisent dans le centre de Lyon, ils rencontrent tout type de public : "s’arrêtent les passants qu’on interpelle, mais aussi des étudiants, salariés, retraités, chômeurs, mais aussi élus, sdf, roms, etc." expliquent les deux jeunes hommes qui constatent que les gens ont entendu parler du gaspillage alimentaire et connaissent les chiffres, mais sans avoir conscience, visuellement, de ce que cela représente.
Photo : Yann Deva
"Là ils peuvent même la manger !"
Des yaourts bio aux poireaux en passant par une orchidée, du lait et des croquettes pour chien, ce qu’ils ont étalé mardi 21 mars dernier lors de la distribution organisée place Ambroise-Courtois (8e) a de quoi faire réfléchir. Au total, pas moins de 230 kilos de nourriture étaient gratuitement distribués. Sur place pour 20minutes Lyon, la journaliste Anne Dory a pu interroger les personnes venues à la distribution :
"ça nous ouvre les yeux sur la réalité d'un monde qui doit changer", constate Nicolas, 42 ans, qui repart chez lui avec de la bière, des barres de céréales et des pâtes. Pierre, lui, avait été mis au courant de la distribution via les réseaux sociaux. "Ça m'arrive de faire les poubelles des magasins quand c'est la dèche", confie ce chômeur de 24 ans. Il remplit son sac de nourriture à côté d'étudiants et de personnes âgées aux maigres retraites. "C'est honteux de jeter tout ça quand on voit le prix auquel on nous le vend", s'insurge Maria, 63 ans, qui peine à vivre avec ses 1 000 euros par mois.
Photo : Yann Deva
Avec leur démarche, les deux lyonnais souhaitent sensibiliser le grand public et changer le regard sur les modes de production : "Dirigeons-nous vers la sobriété. Redéfinissons les pratiques d'achats, dirigeons nous vers les circuits-courts, les produits sains et biologiques, les matières premières nobles et recyclables. Nous nous sommes dirigés vers la nourriture car son obtention reste assez simple, mais nous aurions pu prendre les voitures de la prime à la casse et les distribuer de la même façon..." expliquent-ils.
Comme mentionné déjà ici, chaque année, les Français mettent 1,2 million de tonnes de nourriture à la poubelle, ce qui représente environ 20 kilos de déchets par personne et par an. Sur ces 20 kilos d'aliments gaspillés, explique l'ADEME, 7 kg sont encore emballés et 13 kg sont des restes de repas ainsi que de fruits et légumes.
La récup’ dans les poubelles en pratique
Mais au fait, à qui appartiennent les déchets ? Est-ce illégal de fouiller dans une poubelle ? D'après les discussions que j'ai pu avoir avec des adeptes de la récupération, alimentaire ou non, l’enjeu est de savoir si le déchet est considéré comme res nullius, n’appartenant à personne, ou res derelictae, sans maître, puisque la volonté de leur propriétaire est clairement exprimée : il a voulu abandonner ces objets. Et donc le premier qui le récupère en fait sa propriété (code pénal)...?
Pour Maude Frachon, au fait des pratiques du freeganisme, de la récup et du glanage a épluché tant bien que mal les articles de lois sur le sujet. Sans avoir de certitudes exactes, elle conseille posséder sur soi une lettre de décharge pour dédouaner les anciens propriétaires en cas de problème (intoxication alimentaire par exemple), du type:
"Je soussigné-e .......né-e le....à.....atteste sur l'honneur ne pas porter plainte contre les anciens propriétaires des déchets trouvés à.......et que leur ingestion relève entièrement de ma responsabilité. Je suis conscient-e que cette attestation pourra être produite en justice et que toute fausse déclaration de ma part m'expose à des sanctions judiciaires. Fait pour servir et valoir ce que de droit. Date, lieu, signature".
"L’essentiel est de ne pas pénétrer sans autorisation sur une propriété privée, ne pas souiller de détritus l'endroit en question", souligne la jeune femme en évoquant l'interdiction de fouille des poubelles qui a pu tenter certaines communes comme Nogent-sur-Marne par exemple, alors que le glanage est une pratique de toujours.
C'est le chiffonnage (le fait de faire de la récup' et de la vendre ensuite) qui est interdit en revanche.
Et pour le reste alors ?
Sachez qu’il n’y a pas que la nourriture qui se gâche! Et c’est pour sensibiliser et mobiliser les entreprises au don de leurs produits invendus que l’Agence du don en nature organise depuis lundi et jusqu’au 29 mars 2013 la première "Semaine du Don en Nature".
L’association collecte auprès des entreprises (l'Oréal, Etam, Célio, Seb, P&G) des produits neufs invendus (fins de séries, fin de promotions, changements de packaging) afin de les redistribue à des associations caritatives qui aident les plus démunis (Les Epiceries Sociales et Solidaires, SOS Village d'Enfants, l'Armée du Salut, les Centres d'Hébergement du Groupe SOS, les Apprentis d'Auteuil et quelques structures régionales).
"Près de 400 millions de produits qui sont détruits chaque année en France", rappelle l’Agence qui a déjà redistribué pour 22 millions d'euros de produits neufs. "Depuis 2009, notre initiative permet de redistribuer des produits qui étaient voués à la destruction, elle évite le coût énergétique de destruction de milliers de tonnes de marchandises tout en ayant un impact social auprès des personnes en situation d'exclusion".
Parmi les produits les plus invendus en quantité, et donc les plus collecté par l’Agence: les produits d’hygiène et entretien, les jouets et la puériculture, les fournitures scolaires.
Et les produits dont ils ont le plus besoin ? Les produits d’hygiène et entretien, mais aussi le petit électro-ménager, la puériculture, la vaisselle et le linge de maison.
Des initiatives à suivre donc, non ?
Anne-Sophie Novel / @SoAnn sur twitter
Pour aller plus loin
++ Le blog des gars pilleurs et leur page Facebook pour se tenir au courant des distributions hebdomadaires organisées par le collectif. Le 6 avril 2013 ils devraient organiser un événement avec les Disco Soupes.
++ Alimentation: la chasse au gaspi est lancée et Grande (sur)-bouffe, les clefs pour comprendre et agir
++ Un rappel sur les dates limites de consommation
22:06 Publié dans 4 - Compléments | Commentaires (0) | Lien permanent
22 mars 2013
Amitié avec le Burkina
08:41 Publié dans 4 - Compléments | Commentaires (0) | Lien permanent
11 décembre 2012
Le monde compte pas moins d’un million de révolutions tranquilles
C’est avec un doux mélange de modestie et d’enthousiasme qu’elle se défend d’avoir réalisé une encyclopédie mondiale des alternatives citoyennes. Pourtant, l’ouvrage de la journaliste Bénédicte Manier (Un million de révolutions tranquilles, paru aux éditions Les Liens qui Libèrent, 324 p.) offre un survol riche et passionnant des actions menées par les pionniers de la transition vers une société plus participative, solidaire et humaine.
Lutte contre la faim, habitats coopératifs, microbanques, ateliers de réparation citoyen, financement en autogestion d'emplois ou de fermes bio, échanges de biens, de services et de savoir, etc... tout y est ! Embarquement immédiat.
Une effervescence de terrain
Journaliste à l’Agence France Presse (AFP) depuis 1987, Bénédicte Manier s’est spécialisée au fil des ans sur les questions de développement et de pauvreté des populations. Dans ce livre, elle propose un voyage itinérant au pays des solutions citoyennes appropriées aux enjeux du siècle – de la réhabilitation du réseau des johads (bassins creusés dans la terre pour recueillir les eaux de ruissellement et recharger les nappes phréatiques) au Rajasthan en passant par les réseaux de coopératives de production en Amérique Latine, des exemples de relocalisation des modes de vie aux systèmes de santé citoyen qui existent aux Etats-Unis ou en Belgique.
"Ces révolutions, j’ai l’impression de les connaître depuis toujours, confie-telle. J’ai croisé des quantités de domaines liés au développement local et j’ai profité de mes déplacements personnels pour ne pas passer des vacances idiotes. Je suis donc allée voir sur place ce dont j’ai entendu parler".
L’auteur confirme ainsi son intuition : ces initiatives se multiplient partout à l’identique - ou presque - en dépit de leurs domaines d’application très variés (habitat, santé, consommation, etc.) et de leurs conditions de développement, dans les pays industrialisés ou émergents. "Certains de ces mouvements existent depuis trente ans, mais la crise accélère le développement des alternatives", note la journaliste pour qui les inspirations à l’origine de ces révolutions sont également les mêmes où que l'on soit. "Les citoyens répondent au même désir, et nous avons affaire à une effervescence de terrain qui concerne des millions de personnes dans le monde", explique l'auteur.
Pour elle, ces évolutions ne sont pas marginales : elles se développent au cœur des sociétés et les classes moyennes qui sont au cœur du changement. Et elles posent une question : qu’est-ce qui fait que les gens mettent en place des alternatives identiques sans se connaître ?
Le rôle du politique
Un élément de réponse se trouve peut être dans l'incapacité du monde politique à comprendre réellement la portée ces actions". Les citoyens ne sont pas contents du système dans lequel ils vivent et tracent eux-mêmes les voies du changement, à tel point que leurs dynamiques prennent de vitesse le politique et le secteur privé : "alors que la défense de l’intérêt collectif voudrait que le monde politique soit plus à l’écoute, le système actuel ne répond pas à ses aspirations", regrette Bénédicte Manier pour qui cela signe la fin d’une époque, comme elle me l’a confié dans la pastille sonore suivante:
Mais si ces initiatives citoyennes sont possibles, c'est aussi par l’existence d’une démocratie qui garantit la manière dont la société civile peut prendre les choses en main. "Je ne suis pas allée enquêter en Chine ou en Russie, mais je n’y ai pas repéré pour l’instant ce type de dynamique" souligne Bénédicte Manier.
D'ailleurs, ces révolutions ne se font pas contre le politique, mais bien plutôt en parallèle. "Les citoyens qui agissent le font parce qu’il faut le faire. Bien souvent, le pouvoir politique ne les soutient pas car ils croient d’avantage dans les grosses infrastructures de développement, les moyens simples ne sont plus dans leur imaginaire", estime-t-elle tout en soulignant qu'il est possible d'observer de la collaboration et de la bienveillance publique dans certains pays, comme au Brésil ou en Argentine. A Rosario par exemple, la municipalité a recensé les terrains et aménagé 60 hectares de terrains vacants pour y permettre le développement de 800 jardins communautaires qui nourrissent 40 000 habitants (sur les 1,2 millions que compte l'agglomération). Cela a relancé l’économie locale et prouve à quel point le soutien politique peut faire la différence.
Une "réappropriation" du monde
Au fil des pages, on mesure l'ampleur de la réappropriation du pouvoir citoyen. La journaliste explique: "pendant un temps, le citoyen s’est effacé devant le consommateur : on a tout fait pour lui, on lui a amené des supermarchés, du made in China, etc. jusqu’à ce qu’il se rende compte que ce type d’économies a des effets négatifs en terme d’emplois, qu’il engendre une perte de qualité, des crises sanitaires et autres excès".
Le temps est venu du changement par la proximité, le partage et le collaboratif : le succès des AMAP et autres initiatives relevant de la consommation collaborative ne montre-t-il pas qu’il est possible de retrouver une qualité et une transparence? Il est aisé d'agir sur notre environnement immédiat. Le changement concret permet de la réappropriation et l’entrée dans l’ère de la post-mondialisation où les sociétés changent peu à peu leurs valeurs.
Les jeunes entrepreneurs sociaux mènent aussi des projets enthousiasmants: ils ont envie de créer des circuits, des plateformes de distribution de produits bio, des coopératives d’énergie verte, des entreprises de service de proximité – avec une économie tournée vers les besoins des population. Et cette économie est aussi profitable que l’économie traditionnelle, à la différence que ce profit est mis au service d’une logique positive pour la société.
A bon entendeur...
Anne-Sophie Novel / @SoAnn sur twitter
A lire également
· Les conspirateurs positifs sont parmi nous
· Lionel Astruc, (R)évolutions, pour une politique en Acte, chez Acte Sud Editions (mars 2012)
· Vincent Tardieu, Vive l'agro-révolution française, chez Belin (août 2012)
· Vive la CoRévolution, pour une société collaborative, chez Alternatives (mai 2012)
· Pierre Rabhi, Eloge du génie créateur de la société civile, chez Acte Sud Editions (janvier 2012)
A écouter: le podcast de l'émission C'est pas du vent du 10 novembre sur RFI
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